Par Steve Jourdin Publié le
Ce jeudi, le Sénat doit se prononcer sur la ratification du CETA, le Comprehensive Economic and Trade Agreement. Depuis sa conclusion en 2014, 95 % de ses mesures sont entrées en vigueur, comme la réduction des droits de douane entre les deux pays. Mais le Parlement français doit désormais voter son entrée en application définitive. Focus sur un accord très décrié avec Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO France.
Très simplement, qu’est-ce que le CETA ?
Il s’agit d’un accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada en 2014. C’est un accord très large, dans lequel plusieurs secteurs ont été mis en avant comme l’agriculture, la santé ou encore la culture. Pour rappel, un traité de libre-échange est un contrat signé entre deux entités, en l’occurrence le Canada et l’Union européenne (et non la France, car la politique commerciale est entre les mains de la Commission européenne). C’est Bruxelles qui a négocié au nom des Etats membres. L’idée est de faire baisser les droits de douane, qui sont des barrières que l’on doit payer lorsque l’on souhaite importer ou exporter des produits. L’objectif est de faciliter les échanges.
Selon le gouvernement, les exportations françaises au Canada ont augmenté de + 33 % depuis 2017, date de l’entrée en vigueur du traité. Le bilan est donc positif ?
En termes de volume, le bilan est positif. Les critiques actuelles concernent surtout le secteur agricole. Or, le « secteur agricole » en soi ne veut rien dire, il faut regarder les détails. Nos exportations vers le Canada concernent surtout les grosses exploitations, comme le blé et les céréales. A ce sujet, le CETA profite à l’agro-industrie. En revanche, si vous êtes éleveur et que votre marché est la France ou l’UE, vous n’êtes pas gagnant, car vous n’exportez pas vers le Canada, alors que dans le même temps les produits importés depuis ce pays ne répondent pas aux mêmes impératifs sanitaires et bénéficient de prix plus intéressants.
Peut-on dire que la France est gagnante du CETA ?
Il est compliqué de dire qui est gagnant et qui est perdant, car cela dépend des filières. Mais au niveau macro-économique, l’Union européenne est gagnante, car nous avons un modèle d’agriculture intensive et nous sommes compétitifs. Mais en Europe, nous ne pouvons pas être tous gagnants. Le travail du politique est de faire en sorte qu’il y ait le moins de perdants possible. La France est la première puissance agricole d’Europe, nous sommes donc gagnants du traité du CETA, mais il existe sur notre territoire une hétérogénéité d’agricultures et d’agriculteurs, et les exploitations les plus petites n’en bénéficient pas autant que les autres.
En cas de rejet du texte par le Sénat jeudi, qu’est-ce que le CETA va devenir ?
L’accord ne sera pas renégocié. Le texte repartira à l’Assemblée nationale, et pourrait être rejeté définitivement par la France. Légalement, étant donné que le CETA a été conclu par l’UE, nous devons l’appliquer, mais dans les faits ce qu’il se passera c’est que certaines normes ne seront plus mises en œuvre. La Commission européenne n’a pas de juridiction de sanction, il n’y aura donc pas de conséquences légales. En revanche, le Canada pourrait porter plainte à l’OMC pour non-respect de l’accord.
Dans le débat public, les traités de libre-échange semblent de plus en plus remis en cause. Existe-t-il aujourd’hui un consensus européen en matière de protectionnisme ?
Il y a effectivement beaucoup de débats à ce sujet. Economiquement, le libre-échange a permis et permet encore d’enrichir les économies, car le commerce favorise la production de valeur. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la pauvreté a baissé grâce au libre-échange. Mais depuis une vingtaine d’années, on assiste à une « régionalisation de la mondialisation ». Les obstacles au commerce sont devenus nuls, les barrières tarifaires n’existent presque plus, mais les Etats multiplient les barrières dites « non-tarifaires », comme les normes, afin de protéger leur marché. Cela permet de se défendre tout en évitant des sanctions de l’OMC.
Nous sommes dans une résurgence des tensions géopolitiques, et les Etats choisissent de commercer à l’intérieur d’une zone géographique proche d’eux afin de diminuer les impacts politiques en cas de conflit. C’est une tendance mondiale, que l’on retrouve aux Etats-Unis, en Inde, en Russie, en Amérique du Sud ou encore en Algérie. L’accord du CETA, comme les autres traités de libre-échange, deviennent des boucs émissaires. Avec les élections européennes, cette problématique est opportunément mise au centre du jeu.
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